HERITAGE des ECHECS FRANCAIS

 

 

 

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MACZUSKI [Appolinaire] Ladislas

23/07/1837 (Varsovie - Pologne) - 22/08/1898 (Nanterre)

Ladislas Maczuski est né à Varsovie (1) d'un père coiffeur et d'une mère sans profession. Il apparait dans les revues échiquéennes en 1860, Alphonse Delannoy, dans un de ses innombrables articles présentant les joueurs d'échecs du café de la Régence le décrit ainsi:

"Travailleur infatigable, constamment hérissé de notes, de revues, de journaux scientifiques, s'avance au milieu de nous un tout jeune homme, M.Ladislas Maczuski. En quelques mois il a fait d'immenses progrès et joue maintenant à but avec des adversaires dont il recevait la Tour. Un de ses grands mérites est de posséder cette modestie si rare dans les amateurs qui se sentent en progrès. Il ne provoque pas, mais accepte toute partie. Enfant du Nord, Polonais d'origine, il a les qualités qui caractérisent les organisations boréales, la patience, la persévérance, l'énergie et la volonté. Il veut arriver, il doit arriver. D'après nos habitudes françaises, nous pourrions lui reprocher, peut-être, un peu trop de lenteur et de sévérité".(2)

Dès l'année suivante Delannoy indique que ce jeune homme très simple et très poli "a pris rang parmi les joueurs les plus habiles". Il dispute des matches contre d'autres amateurs de la Régence. Il bat Mosengel: +7 -6 =3 (3), puis rencontre Ivan Tourgeniev le célèbre écrivain russe passionné d'échecs, malheureusement le résultat final du match n'est pas connu. (4)

Durant l'année 1862, il passe de long mois à Londres et s'aguerrit contre les meilleurs joueurs anglais au Cigar Divan. Lorsqu'il revient à Paris, il va multiplier les exhibitions de jeu à l'aveugle. D'abord contre 4, puis 6, puis 8 joueurs, ce qui ne manque pas d'attirer l'attention sur lui:

"J'ai vu les premiers essais de ce jeune polonais. Novice encore, il promettait déjà. Armé d'énergie et de volonté, il s'est mis à l'étude et a dépassé les prévisions. Ses excursions à l'étranger ont consolidé sa méthode, et nous venons de le voir reproduire au milieu de nous les merveilleux exploits des Paulsen et des Morphy dans le jeu à l'aveugle. M.Maczuski a accompli ces tours de force avec des conditions particulières de difficulté; il a conduit plusieurs fois huit parties en même temps, sans voir, dans l'estaminet de la Régence, sans imposer aucune exigence, c'est-à-dire au milieu du bruit, de la canonnade des pièces, des grincements des dominos, des va et vient des garçons, des baoums ! du verseur, des chants des vainqueurs et des gémissements des vaincus. Il a fait ces parties avec facilité, avec succès et, ce qui tient du prodige avec rapidité." (5)

Maczuski est une attraction, il organise des exhibitions payantes pour ses simultanées à l'aveugle.

La Nouvelle Régence (décembre 1862) p.374-375

 

Maczuski n'est pas devenu seulement un phénomène d'exhibition, il devient un très fort joueur, sa valeur sera démontrée par un match contre Ignatz Kolisch disputé au café de la Régence en mars 1863. Il parvient à annuler le match contre l'un des meilleurs joueurs au monde: +2 -2 =0 (6).

A cette occasion, il réalise une miniature splendide, la combinaison finale est une anticipation de la célébrissime partie entre Réti et Tartakower à Vienne en 1910.

 Maczuski,L - Kolisch,I [C45]

Paris café de la Régence. Match mars 1863

 

1.e4 e5 2.¤f3 ¤c6 3.d4 exd4 4.¤xd4 £h4 5.¤c3 ¥b4 6.£d3 ¤f6 7.¤xc6 dxc6 8.¥d2 ¥xc3 9.¥xc3 ¤xe4 10.£d4! £e7 11.0–0–0 £g5+ 12.f4 £xf4+ 13.¥d2 £g4

14.£d8+! ¢xd8 15.¥g5+ double échec et mat le coup suivant. La Nouvelle Régence (mars 1863) p.79

Ses prédispositions au jeu à l'aveugle vont le conduire à organiser de nombreuses exhibitions payantes, d'abord à Paris, puis en province. Il pouvait jouer alors contre 10 adversaires, une prouesse que seuls l'allemand (et futur américain) Louis Paulsen ainsi que l'anglais Joseph Henry Blackburne étaient capables d'égaler à l'époque.

En 1865, Maczuski va devenir rédacteur en chef du Palamède Français, il succède à Paul Journoud qui avait créé la revue mais s'était disputé avec l'éditeur. Sa direction va démarrer avec le numéro daté d'avril 1865. Dans son premier éditorial il déclare vouloir rédiger une revue qui sera à la fois "scientifique" en publiant les parties 'des célébrités contemporaines" et qui vulgarisera les échecs pour tous les amateurs, vaste programme (7).

Dès ce premier numéro de l'ère Maczuski, Alphonse Delannoy fait une fois de plus son éloge:

"L'imagination, le goût de l'étude, un rare esprit d'analyse, une mémoire prodigieuse sont les plus utiles au succès de la rédaction, et M.Maczuski les possède au plus haut degré. Le papier, la plume et le crayon ne lui sont pas nécessaires. Les parties sont-elles intéressantes, elles sont immédiatement classée dans ses souvenirs; son coup d'œil peut embrasser toutes les arènes à la fois, chaque haut fait sera noté, consigné, publié." (8)

Le Palamède Français de Maczuski ne survivra pas bien longtemps car dès fin 1865 il cessera de paraître.

Ses tournées l'emmenèrent notamment à Lyon et à Marseille où il finit par s'installer. Il se maria deux fois à Marseille en 1863 et en 1869. Il fut tour à tour employé des chemins de fer, puis agent d'affaire. Il était l'âme du club local le "Cercle Artistique".

Début 1873, Maczuski va créer à Marseille, la première revue d'échecs publiée en province en France: Le Pion (9).

Couverture du premier numéro daté de février 1873.

 

Maczuski ne sera pas un rédacteur en chef plus heureux à Marseille avec Le Pion, qu'il ne l'avait été à Paris avec Le Palamède Français. La revue cessera de paraître au bout de 4 numéros.

Lors des années 1875 et 1786, Maczuski fit deux tournées en Italie pour mettre à profit ses compétences de joueur à l'aveugle. Il réalisa de très nombreuses séances où il jouait à l'aveugle contre 4 joueurs. Pendant l'une d'elle, à Ferrara le 31 mai 1876, il stupéfia l'assistance en annonçant un mat en 11 coups (10).

Le mat en 11 coups fut repris par de nombreuses revues dans le monde entier, dès 1876 et encore bien plus tard.

Ici dans Le Monde Illustré (24 août 1878)

La solution figure dans la petite base de données de parties de Maczuski, à la fin de cet article.

 

Dès 1877 on retrouve Maczuski à Paris. Il dispute un match contre Chamier (11) et reprend ses exhibitions à l'aveugle.

Vers la fin 1881 Maczuski s'établit à Londres ou il fréquente le City of London Chess Club. Il séjournera à Londres au moins jusqu'à fin 1883. Durant cette période il participe aux compétitions du City of London et dispute deux matchs contre Henry Bird. Il perd le premier lourdement fin 1881 : 5,5 - 0,5 puis perd le second fin 1882 : 7,5 - 4,5 (-7=1+4)

Les sources anglaises ne le mentionnent plus en 1884, il est donc possible que Maczuski soit revenu à Paris à ce moment là.

Maczuski a couru après l'argent pendant toute la fin de sa vie. L'âge diminuant ses compétences, les démonstrations tournent de plus en plus au "Music-hall". En 1888 il se produit au Café de Madrid à Paris où il joue en même temps, une partie d'échecs sans voir et 4 parties de bésigue chinois ! (12). Le bésigue chinois étant un jeu de cartes en vogue à l'époque.

La Partie de Bésigue. Tableau de Gustave Caillebotte (1881)

La fin du pauvre Maczuski sera infiniment triste, comme beaucoup de génies des échecs il finira dans la plus grande misère. La revue vénézuélienne El Tablero publia en 1892 un article d'un certain Leopoldo de Rojas qui raconta une visite à Paris (13). Il résidait au Grand-Hôtel et étant amateur d'échecs on lui présenta un vieux monsieur visiblement misérable qui jouait pour quelques Francs. Il reçu plusieurs leçons de ce professeur qui lui remit sa carte.

L'Echiquier de Paris (octobre 1948) p.88-89

L'amateur sud américain indique qu'au bout de quelques temps Maczuski pu s'acheter une nouvelle redingote et que "son visage famélique s'engraissait". Malheureusement le directeur de l'Hôtel chassa Maczuski quand il apprit qu'il se faisait payer pour jouer. Quelques mois plus tard l'amateur croisa à nouveau Maczuski qui le conduisit dans un café où un patron compréhensif le laissait donner des cours d'échecs. Le vieux joueur avait changé sa carte de visite afin de ne pas déshonorer son nom connu de tous les amateurs d'échecs.

L'Echiquier de Paris (octobre 1948) p.88-89

Maczuski utilisait son deuxième prénom.

En 1895, il se produit à Amiens en compagnie d'une de ses élèves, Mademoiselle Stella, qui réalise des prouesses grâce à une mémoire extraordinaire:

"Une séance d’échecs extraordinaire a eu lieu mardi 11 juin, au Café Diollot à Amiens. M. Maczuski a joué une partie d’échecs sans voir contre un groupe d’amateurs se consultant, un Gambit Evans accepté qu’il a gagné. Mais cela n’était pas le plus intéressant; M. Maczuski a présenté une de ses élèves, Mlle Stella, douée d’une mémoire vraiment prodigieuse. Successivement sur huit échiquiers, elle a résolu, sans voir, et dans huit positions différentes, le difficile problème qui consiste à placer huit dames sur un échiquier sans qu’elles s’attaquent entr’elles. La précision et la lucidité dont Mlle Stella a fait preuve ont été saluées par d’unanimes bravos. Ensuite sur six échiquiers placés côte à côte, la jeune artiste a rempli, d’une manière très rapide, toutes les cases par la marche du cavalier passant une fois sur chaque et, en reliant entr’eux par un trait certains pas du cavalier, elle a tracé les six lettres qui forment le mot “Amiens”. Pour terminer Mlle Stella, toujours suivant la polygraphie du cavalier, a dessiné les initiales de M. le Président de la République de façon qu’en additionnant les chiffres des pas du cavalier formant les lettres F.F. le total est de 430, nombre de voix par lequel le Congrès de Versailles a appelé M. Félix Faure à la première magistrature. D’après la presse locale, le public nombreux qui assistait à cette soirée a été émerveillé et a fait une ovation à la jeune et jolie débutante." (14)

Maczuski est décédé le 22 août 1898, au 75 avenue de la République à Nanterre. Il s'agit de l'adresse de la "Maison de Nanterre" qui était à la fois un hospice et une prison pour les vieillards nécessiteux et les mendiants de Paris (15).

36 parties de Maczuski à télécharger.

  

 

sources :

(1) Jeremy Gaige indique seulement "Pologne 1838 ?". La date exacte provient des Archives départementales des Bouches du Rhône. Maczuski s'est marié deux fois à Marseille. Son nom polonais était probablement Appolinary Wladyslaw Maczuski.

(2) La Régence - Alphonse Delannoy (avril 1860) p.100

(3) La Nouvelle Régence (mars 1861) p.94

(4) La Nouvelle Régence (septembre 1861) p.283 donne le résultat partiel +3 -1 =2 en faveur de Maczuski, dans un match "au premier à 11 parties".

(5) La Nouvelle Régence - Alphonse Delannoy (février 1863) p.38

(6) La Nouvelle Régence (mars 1863) p.87

(7) Le Palamède Français - Ladislas Maczuski (avril 1865) p.337-339

(8) Le Palamède Français - Alphonse Delannoy (avril 1865) p.354

(9) Cette revue est rarissime. Elle a été mise en ligne par Google Books.

(10) Nuova Rivista degli Scacchi (juillet 1876) p.281 La partie figure dans La Psychologie des Grands Calculateurs et Joueurs d'Echecs (1894) du grand psychologue Alfred Binet.

(11) Malheureusement le résultat final ne m'est pas connu. Le vainqueur était le premier à gagner 7 parties. A un moment, Maczuski menait +5 -4 =1.

(12) Le Figaro (3 novembre 1888)

(13) L'Echiquier de Paris - Jean Buchet (octobre 1948) p.88-89 qui reprend El Tablero (1892)

(14) La Stratégie (15 juin 1895) p.177

(15) Archives Départementales des Hauts de Seine.

 

© Dominique Thimognier (Reproduction interdite sans autorisation)

 

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