1920 Reshevsky à Paris
 

 

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La visite du "Wunderkind" Samuel Reshevsky à Paris en 1920

Samuel Reshevsky - Supplément à La Stratégie (juin 1920)

Photographie de presse de l'Agence Roll

Source: site Gallica

Lorsque Samuel Rzeszewski ... ou Rzeschewski (1), ou bien d'autres variantes encore car les journaux auront beaucoup de mal avec son nom, arrive à Paris en mai 1920, il est déjà fort connu. Il est le dernier enfant d'une famille juive orthodoxe et c'est un enfant prodige. Il est originaire de la région de Lodz en Pologne et dès l'âge de 6-7 ans il donnait des exhibitions en simultanée, d'abord dans sa région puis à Varsovie.

Début 1920 sa famille accompagné d'un médecin ( ... imprésario ?) décide de "produire" le petit Shmulik aux 4 coins de l'Europe. C'est la guerre en Pologne contre les bolcheviks (2) et l'on pense que son talent sera mieux exploité en Europe ou aux Etats-Unis. Alors le tour d'Europe commence: Berlin, Vienne, Amsterdam, la Belgique ... partout le petit Samuel 8 ans (3), haut comme trois pommes, écrase tous les amateurs éclairés qui se mesurent à lui par paquets de 20 en simultanée.

Reshevsky à Berlin - Wiener Bilder (25 janvier 1920)

Voici ce Reshevsky dit lui-même sur cette période:

"Quand j'étais un enfant faisant le tour de l'Europe et des Etats-Unis en tant que prodige des échecs, mes performances étaient le sujet de nombreuses spéculations. Tout le monde était curieux de savoir comment un gamin de 8 ans pouvait battre des barbes grises à leur propre jeu ? Les gens me harcelaient constamment pour avoir une explication. Je ne pouvais pas répondre à leurs questions à l'époque, pas plus que je ne le peux maintenant. Les échecs étaient pour moi, une fonction naturelle, comme respirer. Cela ne me demandait pas d'effort conscient. Les coups corrects dans une partie me venaient spontanément comme une respiration. Si vous pensez à la difficulté que vous auriez à expliquer une telle fonction quotidienne, vous aurez un aperçu du dilemme qui est le mien pour expliquer mes capacités aux échecs." ... (4)

Reshevsky arrive à Paris en mai 1920. Il vient de Belgique où il a joué à Anvers et Bruxelles, il y a disputé 111 parties en 6 séances de simultanées (résultat : + 108 = 1 - 2 !!!). Partout où il est passé, les résultats sont du même ordre.

Il ne devait rester à Paris que quelques semaines avant de poursuivre vers Londres, mais devant le battage incroyable produit par ses exhibitions, il restera jusqu'au début du mois de juillet. La presse parisienne va faire l'honneur de ses premières pages au petit prodige et même Pathé viendra le filmer pour ses "Actualités de la semaine" qui passent en ouverture dans les cinémas avant les films.

- 16 mai 1920 au club des Echecs du Palais Royal / [20 parties en simultanée : +20]

C'est la première sortie du petit Samuel, elle a lieu au café de La Rotonde, siège du plus grand club parisien de l'époque "Les Echecs du Palais Royal". Toute la presse à fait le déplacement et parle de l'événement. Son "médecin de famille", le Docteur Tosin (5) qui l'accompagne dit que le petit prodige va revenir à Paris étudier après son tour d'Europe, car pour le moment il ne sait ni lire ni écrire.

Lors de cette première séance, le petit Samuel fera "place nette" avec 20 victoires. On ne connait rien de la liste de ses adversaires, si ce n'est la présence parmi eux de Marc Herzfeld, qui quelques mois auparavant avait fait nulle contre Capablanca dans une séance de parties simultanées. Aucune partie n'a été publiée dans La Stratégie. Mais la partie contre Herzfeld a survécu grâce à une chronique d'échecs malheureusement non-identifiée:

Source inconnue (aimablement transmis par Etienne Cornil)

Marc Herzfeld - Le Cercle Philidor 1925 (collection Paul Clément)

A cette partie, je pense que nous pouvons en ajouter une deuxième, non publiée à l'époque. Elle figure dans la Bulletin Ouvrier des Echecs de 1948, elle est envoyée par Max de Gency, un lecteur de la revue. Selon lui elle a été joué le "6 mai 1920" en simultanée au cercle du Palais Royal. Reshevsky n'a joué à ce cercle que les 16 mai, 25 mai et 4 juin. Je suppose donc qu'il s'agit d'une petite confusion entre 6 et 16 mai, mais ce n'est pas sûr.

Bulletin Ouvrier des Echecs  (décembre 1948) p.255

Evidemment toute la presse parisienne parle de l'événement. Les articles ne sont pas écrits par des spécialistes des échecs et l'on n'hésite pas à donner dans le sensationnalisme:

Le Petit Parisien (17 mai 1920)

Le Gaulois (18 mai 1920)

Le Temps (18 mai 1920)

Le Miroir (23 mai 1920)

- 25 mai 1920 au club des Echecs du Palais Royal / [20 parties en simultanée : +18 =1 (Camille Degraeve) -1 (George William Champion)]

Deuxième séance, pour laquelle une partie a été publiée dans La Stratégie de juin 1920 (p.123). Il s'agit de la partie nulle contre le joueur originaire de Lille, Camille Degraeve.

- 4 juin 1920 au club des Echecs du Palais Royal / [20 parties en simultanée : +18 -2]

Troisième séance aux Echecs du Palais Royal. La Stratégie ne donne aucune indication sur les deux personnes ayant battu le petit Samuel.

- 8 juin 1920 à l'Hôtel Régina / [20 parties en simultanée : +18 =1 (John Sachs) -1 (Des Sablons)]

Pour cette séance, une partie est connue et elle est fabuleuse: il s'agit d'une victoire contre Louis Schwartz, un fort joueur parisien (La Stratégie de juin 1920 p.124). Lors de cette partie Reshevsky gaffe au 19ème coup et perd sa Dame, mais sa position est très bonne et sans se décourager, calmement, il va retourner la situation pour l'emporter au 65ème coup. Louis Schwartz, prendra sa revanche en l'emportant contre le petit Samuel le 23 juin, dans une autre séance le 1er juillet il fera également partie nulle.

Le Figaro (9 juin 1920)

- 10 juin 1920 au Grand Cercle / [20 parties en simultanée : +20]

Une des victoires de Reshevsky, contre Marcel Billoret, a été publiée dans La Stratégie de juin 1920 (p.126).

- 13 juin 1920 Réunion privée  ?? / [10 parties : +10]

La Stratégie n'indique pas clairement le programme de Reshevsky lors des réunions privées. Elle indique simplement qu'il a gagné les 10 parties jouées en deux réunions privées et que dans l'une d'elle, il était opposé à Wladimir Bienstock, Frédéric Lazard et Adolphe Silbert qui jouaient en consultation. Assurément il s'agit d'une belle victoire car ces trois joueurs étaient incontestablement trois des meilleurs joueurs parisiens de l'époque, malheureusement cette partie n'est pas connue.

La Stratégie donne malgré tout une victoire contre Adolphe Silbert (joué le 13 juin chez La comtesse de Noailles).

- 18 juin 1920 au syndicat des négociants en pierres fines / [20 parties en simultanée : +20]

Aucun renseignement sur cette simultanée organisée par les diamantaires parisiens.

- 20 juin 1920 au club des Echecs du Palais Royal / [14 parties éclair d'une moyenne de 2mn chacune contre Eugène Michel Antoniadi (6) : +12 =1 -1]

Eugène Michel Antoniadi (1870-1944) est un personnage hors du commun: il était un astronome français d'origine grecque, célèbre pour ces travaux sur Mars et sur Mercure notamment. Il était également un passionné du jeu d'échecs. Il a publié plusieurs articles sur des sujets divers dans La Stratégie et peut être considéré comme un des bons amateurs français de la période 1900-1920. Les parties ne sont pas connues.

Eugène Michel Antoniadi

- 23 juin 1920 à la bourse des diamantaires / [10 parties en simultanée : +9 -1 (Louis Schwartz)]

Aucune partie connue pour cette nouvelle exhibition organisée par les diamantaires parisiens.

Louis Schwartz - source: Le Cercle Philidor 1925  (collection Paul Clément)

- 1er juillet 1920 à l'Hôtel Majestic / [20 parties en simultanée : +17 =2 (Fernand Gavarry et Louis Schwartz) -1 (Philippe Bohomolec)]

Il s'agit de la dernière séance du petit Samuel à Paris. Elle attirera à nouveau l'attention de la grande presse parisienne, car elle fut organisée par une aristocrate parisienne célèbre, la princesse Georges de Grèce (7). Il s'agit clairement d'une séance de bienfaisance organisée par "la bonne société parisienne" au profit du petit joueur d'échecs. C'est d'ailleurs à la rubrique "Bienfaisance" que le Figaro annonce la séance. Le Petit Parisien, quant à lui, adopte un titre plus dramatique dans son compte-rendu : "C'est son avenir qu'a joué hier le petit joueur d'échecs et il a gagné la partie".

Il s'agit de la seule séance dont on connait tous les adversaires que la presse présente comme "la fine fleur" des échecs parisiens, alors qu'en fait il s'agit plus d'amateurs éclairés que de vrais joueurs d'échecs aguerris. Parmi eux quelques personnages connus : Alfred Capus  un écrivain-journaliste habitués des séances simultanées, le peintre Léo Nardus (8) mécène des échecs, Fernand Gavarry ministre plénipotentiaire et futur président de la FFE de 1922 à 1929, Edmond Bergerol président du "cercle des amateurs de la rive gauche", Joseph Reinach un grand patron de presse ou encore Gaston Legrain le rédacteur de la chronique d'échecs du journal L'Action Française et plus tard des fameux Cahiers de l'Echiquier Français.

 Fernand Gavarry et Louis Schwartz vont annuler, un certain Philippe Bohomolec va gagner sa partie. A ma connaissance, aucune partie n'a survécu.

A la fin de la séance une des comtesses présentes organise une quête. Elle passe dans l'assistance avec un chapeau de paille et vend des photos du petit prodige, ce qui rapportera 500 Francs (9).

Excelsior (02 juillet 1920)

Le Figaro (26 juin 1920)

Le Gaulois (1er juillet 1920)

Le Petit Parisien (2 juillet 1920)

La Croix (3 juillet 1920)

Le bilan du passage à Paris est du même ordre que celui obtenu dans les autres capitales, époustouflant pour un joueur de cet âge:

 174 parties jouées: 162 gagnées / 5 nulles / 7 perdues.

A cela il faut ajouter une partie à l'histoire originale. Le petit Samuel a joué une partie secrète contre l'étoile montante des échecs français de l'époque André Muffang. L'imprésario du petit Samuel avait imposé une clause étonnante: on ne devait ébruiter l'affaire que si son protégé gagnait la partie ! Le secret ne sera divulgué qu'en 1944 dans la revue Caïssa à l'occasion d'un numéro rendant hommage à la carrière de Muffang.

source: Caïssa n°5 (1944)

La partie est donnée de manière incomplète, mais sachant qu'il s'agissait d'une défense Steinitz de la Ruy Lopez on peut proposer des reconstitutions du début. En voici deux:

1.e4 e5 2.Cf3 Cc6 3.Fb5 d6 4.d4 Fd7 5.Cc3 Cf6 6.Fg5 exd4 7.Cxd4 Fe7 8.O-O O-O 9.f4 h6 10.Fxf6 Fxf6 11.Cf3 Te8 12.Te1 a6 13.Fd3 b5 14.Tb1

1.e4 e5 2.Cf3 Cc6 3.Fb5 d6 4.O-O Cf6 5.d4 Fd7 6.Cc3 exd4 7.Cxd4 Fe7 8.Fg5 O-O 9.f4 h6 10.Fxf6 Fxf6 11.Cf3 Te8 12.Te1 a6 13.Fd3 b5 14.Tb1

Il faut noter une petite énigme concernant cet article: l'auteur mentionne que la partie a été joué à Pâques 1920, hors en 1920 Pâques était le 4 avril et à cette date Reshevsky n'était pas à Paris ?! Mémoire défaillante du rédacteur de l'article ?

Par la suite le "petit joueur d'échecs" va quitter la France pour Londres puis les Etats-Unis où il arrive en novembre 1920. L'exploitation de son talent va continuer jusqu'à ce que la justice américaine condamne ses parents pour "Improper Gardianship", lui reprochant de ne pas lui donner une éducation digne de ce nom. Le petit Samuel pourra enfin recevoir une éducation et obtenir des diplômes (de comptabilité). Il reviendra aux échecs plus tard et sera même candidat au titre de champion du monde en 1948.

Bien des années plus tard: Samuel Reshevsky aux olympiades d'échecs à Nice en 1974 (Collection personnelle Jean-Pierre Tilquin)

............

(1) Samuel Reshevsky est "l'américanisation" de son nom polonais d'origine Szmul Rzeszewski. Après sa tournée européenne, Reshevsky ira poursuivre ses démonstrations aux Etats-Unis, où il s'installera.

(2) Un article sur la guerre Russo-Polonaise de 1920.

(3) Les journaux parisiens de l'époque indiquent qu'il est né en 1912, alors que La Stratégie de juin 1920 parle de novembre 1911. La date qui semble officielle est le 26 novembre 1911 (source : Chess Personalia)

(4) Les premiers mots de la préface de Reshevsky's best games of chess (1948). Ce livre est la réédition d'un livre préalablement intitulé Reshevsky on chess, livre qui a la réputation d'avoir été écrit par un "nègre". Mais on peut penser que la préface de cette réédition, signée "Samuel Reshevsky - Roxbury Massachusetts - February 16, 1948" est bien de sa main. (traduction personnelle).

(5) La Stratégie de juin 1920 l'appelle Rosin et le présente carrément comme un imprésario.

(6) Edward Winter a consacré un long article à Eugène Michel Antoniadi dans ses Chess Notes.

(7) La princesse Georges de Grèce est beaucoup plus connue sous le nom de Marie Bonaparte (1882-1962). Elle descend d'un des frères de Napoléon 1er. De manière assez inattendue, elle est une disciple de Sigmund Freud et sera une pionnière de la psychanalyse en France !

(8) Edward Winter a consacré un long article à Léonardus Nardus dans ses Chess Notes.

(9) Selon un tableau de conversion trouvé sur le site de l'Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE), 500 Francs de 1920 représentent 442 Euros actuels.

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