HERITAGE des ECHECS FRANCAIS

                                 

                               

                     Détail d'une gravure parue dans

                   Le Monde Illustré du 7 mars 1874

 

 

 

Dermenon Georges [Aimé Ernest]

17/01/1827 (Paris) - 25/04/1894 (Fécamp)

L'étrange destin de l'inspecteur Dermenon.

Georges Dermenon fut un bon joueur français de la période 1860-1875, d'abord à Lyon puis au café de la Régence. Il figure en bonne place sur la fameuse gravure du café de la Régence qui illustre la première page de ce site. (1)

Dans le texte qui accompagne cette célèbre illustration, Samuel Rosenthal le décrit comme "un joueur brillant".

Georges Dermenon est né à Paris (2), très jeune il a vécu à Londres et s'y est marié en 1847 (3), il était alors professeur de français. Sa maîtrise de la langue anglaise jouera un grand rôle dans sa vie.

A son retour en France, Georges Dermenon est devenu militaire et il a fait preuve d'un grande bravoure lors de la guerre de Crimée (1853-1856). Il est blessé plusieurs fois pendant les combats et reçoit la médaille militaire le 8 avril 1856. (4)

Il est encore sous-officier au 39ème de ligne, lorsque son nom commence a apparaitre dans les chroniques d'échecs parmi la liste des solutionistes de problèmes. En 1862, il impulse un renouveau des échecs à Lyon avec la création du premier grand cercle Lyonnais au café Maderni. (5)

En 1864, Dermenon s'installe à Paris et devient inspecteur de police. Il accède enfin au saint des saints des échecs en France, le café de la Régence. De 1866 à 1869, il rédige une chronique d'échecs dans le très aristocratique hebdomadaire Le Jockey. Le journal est consacré aux activités "sportives": les courses de chevaux, l'escrime, le canotage, la chasse etc., autant d'activités réservées à cette époque à la bourgeoisie. Les échecs font leur apparition dans la livraison du 5 juin 1866, avec un problème de la composition de Dermenon (6):

Dans sa chronique, Dermenon donnera des problèmes et des études de sa composition, des parties brillantes de contemporains et quelques exemples de son jeu. Dermenon aime les sacrifices. A la suite du passage de Paul Morphy à Paris en 1858, tout le petit monde des échecs parisiens est encore émerveillé par le jeu d'attaque.

Fin 1874, Dermenon allait devenir très célèbre, non pas pour ses prouesses échiquéennes, mais dans la rubrique des faits divers.

Dermenon maîtrisant parfaitement l'anglais, ses supérieurs lui ont confié la chasse aux pickpockets anglais qui pullulent à Paris. Certains d'entre eux sont devenus tellement célèbres à Londres, qu'ils ont préférés venir s'en prennent au bon bourgeois parisien. Après dix ans de traque, Dermenon entretient des relations troubles avec un grand nombre d'entre eux et tout particulièrement la belle et jeune Jane Glaye, véritable artiste de l'arnaque. Dermenon l'a déjà arrêtée en 1870 et en 1873.

Le mécanisme est simple: Dermenon indique des "affaires" à certains pickpockets, puis il les arrêtent en leur promettant de les faire sortir de prison contre le fruit de leurs rapines. Une fois en possession des biens volés, il les laisse croupir en prison. Les arnaqueurs, fatigués de se faire arnaquer, ont dénoncé Dermenon qui est radié de la police et se retrouve devant le tribunal correctionnel de Paris le 29 décembre 1874. Un ex-inspecteur de police devant le juge, l'affaire est tellement inhabituelle que toute la presse donnera le compte-rendu de l'audience ! (7)

Dermenon est condamné à cinq ans de prison et cinq ans de surveillance. Par décret présidentiel, on lui retire sa médaille militaire. (8)

Manchester Evening News, October 11th 1893, p.2

<A HOLIDAY IN NORMANDY. (FROM OUR PARIS CORRESPONDENT.) FECAMP.

There is a remarkable episode to my stay at Fecamp, and to divulge it clearly I must go back some thirty years or more, promising my readers that such a long retrospective glance will not bore them. Many years ago I wrote for the Manchester Guardian a series of very realistic sketches etitled [sic], "The Corporation of British Thieves in Paris." The facts on which my narrative was founded were supplied to me by a Paris detective, whose father had been Professor of French at Sandhurst. That accounts for the detective's speaking English fluently and correctly. He had besides a most delightfully soft, subdued, and harmonious voice when speaking either English or French. I beg the reader to bear that particular in mind. And now to our "ower true tale."

About the year 1860, then a mere lad, not yet of age, I was living in Tours to learn French, where it is best spoken. I was at that time passionately fond of chess, and had already acquired some fame at the Cafe de la Regence in Paris, the headquarters of European chess-players, and American chess-players likewise. On arriving at Tours my first care was to discover a good player, and one evening, in the best cafe of the city, I came across a dashing sergeant-major of Zouaves, who was worthy of my mettle. He had been through the Crimea War, and won several medals on the battlefield. Five years later I found him an habitue of the Cafe de la Regence in Paris, but this time in civilian's dress, and a detective, especially commissioned to watch the British pickpockets in Paris, which did not prevent him from cultivating the noble game of chess. He had risen, in fact, to the front rank of second-class players, and might have got into the first class had he not preferred brilliancy to soundness. He always tried to finish his game by announcing an elegant problem, and usually lost it in a humdrum fashion against an inferior player.

When the Franco-German conflict broke out I went campaigning as war correspondent, and lost sight of Dermenon, that is my hero's name. Shortly after the war I read in a Paris paper that he had been sent to prison for black-mailing English thieves, especially female thieves. His sentence was five years' imprisonment and five years' fixed residence out of Paris. A cruel doom: for he counted 24 years' service in the army and police, and after another year he would have had a right to a pension. All that was now forfeited. But to return to Fecamp. A few evenings ago I went into the cafe annexed to my hotel to have a smoke and a nightcap, and found a well-dressed bourgeois playing chess with a meanly-clad old working-man. I saw with surprise that the old artizan [sic] was a master of the game and able to give his adversary the odds of the rook and knight, if not the queen. By and by the old man spoke; I recognised the soft mellifluous voice of thirty years ago. "You are Dermenon," said I, in an undertone and in English. "I am," he replied in the same language.

When everyone had left except ourselves, he told me that he was the lamplighter of Fecamp, that his time of banishment had long expired, and he might return to Paris if he wished, but he preferred remaining in his humble situation, where he enjoyed the confidence of his chiefs, who knew all about his past, but esteemed him none the less, after his terrible expiation. Indeed, everyone I met, who knew him, sang his praises as an honest man; but what bothered them all was how so cultivated and gentlemanly spoken a man came to be a poorly-clad lamplighter. "It is his passion for chess-playing," I explained to them. I played a Ruy Lopez with him, which I lost, a Scotch gambit, that I won, and an Evans gambit that was drawn. I then made him a small present and we parted.>


 

 

sources:

(1) Le Monde Illustré 7 mars 1874

(2) Etat Civil reconstitué de la ville de Paris.

(3) Site généalogique britannique consulté en août 2020.

(4)

(5) La Nouvelle Régence octobre 1862 p.313

(6) La solution: 1.Rf2 Rxe5 2.Re3 f4+ 3.Rd3 Rf5 4.Rd4# 

(7) Toute la presse française, les journaux de Londres bien sûr, mais aussi la presse internationale. On trouve même la mention des mésaventures du pauvre Dermenon dans le Chicago Tribune, qui conclut en écrivant que les policiers locaux feraient bien de se méfier ! On trouvera sur cette page, le compte-rendu du Journal des Débats Politiques et Littéraires du 31 décembre 1874, qui est l'un des plus complets.

(8) Voir dans Gallica.